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Posts Tagged ‘racisme’

Une collègue m’a dit récemment que, journalistes cinéma, nous nous devions d’aller voir les gros succès français de l’année. Elle a raison : nous ferions mal notre métier si nous ne nous intéressions pas à ce qui fonctionne. Je suis donc allé voir Supercondriaque et Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ?.

Le constat est là et il ne fait pas rire : les comédies françaises récentes qui marchent du tonnerre exploitent des préjugés raciaux. Démonstration? C’est parti. Sinon, merci d’être passés.

questquonafait

Jambon black, jambon blanc, mais surtout jambon-beurre

Les Américains ont tiqué les premiers, dès 2012, en voyant Intouchables. Passe encore qu’un riche Blanc se fasse changer les couches par un Noir de banlieue. Mais quand les Américains ont vu danser le Noir sur Earth Wind & Fire, ils ont réagi : « Ça, c’est juste du racisme, les gars. On ne savait pas qu’ils en étaient encore à la case de l’Oncle Tom, en France !  », ont-ils dit en substance. Comme quoi : on aurait eu intérêt à les écouter un peu, car quand un mec des Etats-Unis vient te signaler que, côté racisme, tu es un peu borderline, c’est qu’il est vraiment l’heure se remettre en question.

Seulement, qui a envie de changer ses petites blagues dans cette France où l’extrême droite est enfin décomplexée? D’ailleurs, l’étranger, finalement, on en veut bien chez nous, du moment qu’il nous laisse faire tous les amalgames du monde sur son dos, en s’y prêtant, en y contribuant même tant qu’à faire. Voilà sans doute comment on en vient à réaliser des Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ?. Mais n’allons pas trop vite.

Je m’étais déjà étonné, plus tôt cette année, de voir apparaître une forme totalement décomplexée de stigmatisation dans une comédie populaire française qui réunissait des millions de spectateurs. La faiblesse du scénario de Supercondriaque était telle que Dany Boon avait dû imaginer toute une seconde intrigue. Vu qu’il n’y a pas non plus des milliards de blagues à faire sur le thème de l’hypocondrie (une prochaine fois, d’ailleurs, je vous expliquerai pourquoi le titre même de Supercondriaque est un non-sens parfait vu le propos de l’auteur, mais chaque chose en son temps), la seconde moitié du film tourne autour d’une grande figure de la révolution dans un pays imaginaire : le Turkestan.

Il se trouve que le Turkestan était déjà pris, par ailleurs : c’est une vraie région d’Asie, habitée par des vraies gens. Mais Dany Boon ne s’embarrasse pas de si peu. Ce nom de Turkestan va lui servir à nous inventer une peuplade de maquisards en treillis dont on retient qu’ils disent « Da » pour dire « Oui », qu’ils bouffent des kebabs et qu’ils font la guerre tout le temps.

Ma femme est à moitié russe. En effet, il lui arrive de dire « Da » pour dire « Oui ». Par contre, les kebabs, c’est très loin de sa culture. En fait, Dany Boon a pris un morceau de Russie, un autre de Turquie, le tout baigné à la sauce yougoslave, avec un nom qui finit en « stan », parce qu’après tout, tous ces connards de l’est, c’est un peu pareil.

On parle quand même de gens qui ont autant de points communs entre eux que nous avec les Egyptiens et les Finlandais. Mais ça n’a pas empêché 5 224 400 de Français d’aller voir le film, bien au contraire.

Apparemment, Dany Boon n’est pas le seul à avoir senti que l’amalgame assumé avait le vent en poupe, dans le cinéma français, puisque deux mois plus tard sort sur nos écrans Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ?, un film qui se proclame antiraciste. Mieux que ça. Grand réconciliateur. En un film, la France entière va se donner la main. Et comment accomplir ce miracle ? En déballant fièrement tous les préjugés qui courent. Abracadabra !

Et c’est drôle ? Mais bien sûr, parce que le préjugé de base, c’est que vous aussi, bande de petits saligauds, vous en avez, des préjugés ! Reconnaissez-le donc, puisque maintenant, c’est permis : on peut en rire ensemble, complices, et célébrer notre bêtise commune ! Au fond, un peu comme disait Jean-Marie Le Pen : « On va enfin dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas ! ».

République Banania

Je vous pitche ça vite fait parce que le film ayant déjà passé la barre des 5 millions de spectateurs, je me doute que vous l’avez probablement vu. Au fond, vous et moi, on est déjà complices dans le crime.

Un couple catholique et gaulliste qui vit dans un château en province voit ses quatre filles se marier successivement avec un Maghrébin musulman, un Juif d’Israël, un Chinois et un Ivoirien. D’où le titre, Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ?, parce qu’il va de soi qu’il s’agit d’une malédiction de marier – toutes! – ses filles à des métèques.

Ses filles. Pas ses fils. S’agissant de quatre garçons, qu’est-ce que ça aurait de drôle ? Le mâle blanc conquérant qui se tape toutes les races du monde, c’est classique. Tandis que quatre blondes gagnées par l’envahisseur, c’est une idée insupportable. Ils mangent notre pain, ils nous prennent nos boulots, les voilà qui nous volent nos femmes, maintenant.

Arrivé là, si le film peut encore se défendre d’être raciste, il peut plus difficilement dissimuler sa misogynie. D’ailleurs, on verra plus tard que les garçons de la famille discutent toujours business entre eux pendant que ces dames papotent famille. Mais ça, on a l’habitude : le cinéma hollywoodien nous a anesthésiés sur ce point.

Approchons-nous des personnages. D’abord, le couple vedette.

Christian Clavier joue Claude Verneuil, le chef de la famille, notaire, gaulliste, catho, il va à la pêche, coupe des arbres et boit volontiers un petit coup de rouge. Un vrai Auvergnat, quoi (« Quand y en a qu’un, ça va. C’est quand y en a plusieurs… » comme dirait notre ancien ministre Brice Hortefeux). Ah oui : il est raciste, mais à la fin du film il ne l’est plus, donc ça va.

Chantal Lauby est Marie Verneuil, sa femme. Ça se corse. Elle est gentille, mais bigrement bigote. Elle se rend chaque jour à la messe pour y chanter faux avec sa voix fluette et se confesser auprès du curé local qui n’en peut plus de la voir rappliquer tous les jours. D’ailleurs, lui aussi chante faux avec sa voix fluette. Bah oui, c’est un catho. Ils sont comme ça, les cathos. Ils se retrouvent à la messe pour chanter faux de leur petite voix fluette. Marie Verneuil est dépressive, alors elle voit un psy. Psy qui, comme tous les psys, facture une fortune ses consultations juste pour dire « ah-ah… mais encore… ? », les jambes croisées dans un fauteuil en mordillant une branche de ses lunettes. Bah oui, c’est un psy. Tous des escrocs.

Ensuite, venons-en aux filles, les voici dans le désordre.

Il y a Isabelle, interprétée par Frédérique Bel. Son boulot est si bien mis en avant par le scénario que je ne me souviens plus ce qu’elle fait dans la vie. Il me semble qu’elle est dans le droit. Pas grave : c’est une femme. En tout cas, elle a épousé Rachid, un avocat maghrébin. Il passe son temps à engueuler ses clients, tous des petits Arabes à capuche qui fument du shit devant le palais de justice. Mais oui, que voulez-vous. Pour un Arabe qui s’intègre, y en a toujours 5000 derrière qui font n’importe quoi.

Ségolène est une artiste-peintre qui a épousé Chao, un banquier chinois. Là, c’est plus compliqué. Déjà parce que le banquier chinois est interprété par un humoriste vietnamien. En gros, le film, jusque dans sa fabrication, considère que ces faces de citrons sont interchangeables. Les Viets, les Japs, les Coréens, les Chinois, tout ça, c’est des bridés, personne ne fera la différence. Il a rencontré sa femme parce qu’elle est venue lui demander du secours. Bah oui : c’est une artiste-peintre. Forcément : elle n’a pas un rond ! Elle peint des croûtes sinistres (parce qu’un artiste, c’est torturé) et elle manque de tomber dans les pommes quand elle voit un flocon de neige à Noël (parce qu’un artiste, c’est sensible). D’ailleurs, les artistes, c’est bien normal qu’ils ne gagnent pas un rond : ils ne vont pas en plus s’enrichir sur leur capacité à s’émouvoir, ces grands nigauds, ces autistes ravis de la crèche, ces « passionnés » ! Ils ont la chance d’avoir une passion, manquerait plus qu’ils en vivent… Et puis ce sont des gens qui n’ont pas fait de « vraies » études (en grandes écoles, quoi). Donc ils ne méritent pas de gagner leur vie aussi bien que les gens normaux.

Et le Chinois, dans tout ça ? Eh bien le Chinois, il est ponctuel et il fait du kung-fu. Ils ont deux filles : des jumelles. Ça, c’est le côté artiste. Ils ne font rien comme les autres.

Passons à Odile, dentiste, qui a épousé un juif d’Israël qui s’appelle David Bénichou. N’ayons pas peur d’être lourds. Le mari juif est dans les affaires ! Aïe aïe aïe ! La vérité si je mens ! Il se lance dans le commerce de la nourriture halal bio. Je n’ai jamais entendu une idée aussi grotesque, soit dit en passant. Tant pis : on n’est plus à ça près.

Arrive enfin la fille cadette qui bosse au service juridique de LCI et qui épouse un comédien ivoirien. Allez savoir comment ces deux-là se sont rencontrés, mais bon… On va pas convoquer Bourdieu à chaque fois qu’on fait une comédie légère.

Lui, son problème, ce n’est pas tant d’être noir. C’est d’avoir une famille africaine ! Ils sont tout aussi racistes que les Blancs, mais en miroir. Les Blancs ne savent pas danser, figurez-vous. Alors qu’eux, entre le coupé-décalé et la zumba, autant vous dire qu’ils ont ça dans la peau ! Quand leurs femmes ne sont pas contentes après une dispute au lit, elles font grève. Pas la grève du travail, hein, au cas où elles en auraient un. Non, la grève du sexe, évidemment. Parce que les Africains baisent beaucoup, c’est connu. Ils détestent les grands méchants colons français et jamais ils ne marieront leur fils à une Blanche. Enfin bon… une fois que le père de famille aura goûté à la prune locale, il sera bien évidemment conquis par la grandeur de la France. Bien intégré, comme disent certains : « Il va boire du vin et manger du cochon ».

Allez, on fait une petite pause musicale, moi j’en peux plus.

T’as vraiment aucun humour…

Après nous avoir déballé tous ces clichés, une grande réconciliation finale a évidemment lieu. Quant à nous, nous sommes priés d’avoir compris qu’il y avait du deuxième degré dans tout ça, peut-être même du troisième, et que si on trouve ça totalement abject, c’est qu’on n’a vraiment aucun humour.

Après être rentré chez moi me gratter les couilles devant la télé pendant que ma femme faisait la vaisselle en se resservant un verre de Smirnoff (qu’elle a bu cul sec comme elle fait toujours avant de le jeter par-dessus son épaule), je me suis dit qu’on se foutait vraiment de ma gueule. Et que, probablement, le plus alarmant dans tout ça, c’est que le bouche-à-oreille pour le film soit si bon, que les salles soient pleines de gens qui rient à gorge déployée et surtout qu’on se permette de dire que ce n’est pas à prendre au premier degré.

Déjà, on n’a pas tous des préjugés plein la tête. Et, si on en a, on peut les combattre, se dire que c’est dangereux et que le pire serait qu’on nous en décomplexe. Après tout, si on en croit Freud, tous les garçons ont une envie refoulée de coucher avec leur mère. Pourquoi ne ferions-nous pas une sympathique petite comédie française truffée d’incestes trop rigolos, histoire de décoincer là aussi, histoire que sauter sa daronne cesse d’être un tabou ?

Le problème de Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ? n’est pas d’être raciste au premier degré. C’est de l’être aussi au deuxième, au troisième et à tous les degrés qu’on voudra trouver. Je ne dis pas que les gens qui ont fait le film sont racistes. Les acteurs : ils font leur job. C’est pas facile de trouver des cachets. Le réal : même combat. Il s’est juste pas pété une clavicule sur la mise en scène, mais ce n’est pas un procès artistique que je fais au film. Même les scénaristes, je les excuse : au fond, ils ne font que profiter du climat local. Quant aux techniciens, je n’en parle même pas. Ils font leurs heures comme ils peuvent.

On pourrait se tourner vers le distributeur, peut-être, qui nous tient la langue de bois habituelle pour faire passer la pilule. Mais ces gens-là sont des commerçants. Leur préoccupation, c’est le nombre d’entrées. C’est normal.

Les fautifs, ce sont nos 5 millions d’hilares. Chaque rire est une confirmation de plus de l’existence de ces clichés et de leur droit de cité. Chaque rire nous réconforte, d’autant plus qu’il est accompagné du rire du voisin. Chaque rire nous pardonne de penser que les Jaunes ont des petites bites et les Noirs, des grosses. Chaque rire nous ramène un peu plus vers cette époque où on trouvait normal qu’il y ait écrit « Y a bon ! » à côté d’une tête de nègre sur un paquet de chocolat en poudre.

J’en ai oublié de parler du film ? Oui. Ben c’est pas signé Griffith comme Naissance d’une Nation, ni Riefenstahl comme Les Dieux du Stade. On n’est pas en présence d’un film raciste touché par la grâce, sauvé par une forme révolutionnaire. Non, c’est juste un film raciste. La patte du réalisateur n’existe pas. Il tente bien de nous rajouter des touches de couleur quand il tourne quelques plans sur Abidjan, mais c’est juste pour renforcer le cliché d’une Afrique chaleureuse et bariolée.

Une dernière chose : oui, j’adore certains films avec des personnages racistes. Certaines comédies avec des personnages racistes. Certaines comédies françaises avec des héros racistes même. J’adore OSS 117. Et oui, il y a beaucoup de blagues racistes dans OSS 117. Mais c’est un film d’époque, tout au long duquel on ne fait que se moquer d’une vieille France qui – Dieu merci – est loin derrière nous, et du personnage qui l’incarne, dans toute sa bêtise et dans toutes ses erreurs. Quand on rit devant OSS 117, on se congratule d’avoir changé. Quand on rit devant Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ?, film bien d’aujourd’hui, on se congratule d’avoir régressé.

Allez, je vais même laisser à Hubert Bonisseur de La Bath le mot de la fin. Ciao les copains !

AJOUT DU 11/05/14 :

Merci à Philippe De Chauveron, réalisateur de Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu?, de m’avoir envoyé cette précision à propos du comédien Frédéric Chau : « Sa mère est Vietnamienne et son père Chinois ».

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