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Archive for janvier 2019

Vous aimez toujours Shakespeare ? Et Luc Besson, aussi ?

Ce n’est plus l’heure d’aimer Besson. Mais bien sûr que vous aimez l’homme sans lequel nous ne connaîtrions ni Roméo ni Juliette, ni Hamlet, ni Richard III, ni Le Roi Lear… Vous êtes d’ailleurs probablement comme moi : vous n’en avez jamais lu un en entier, mais vous aimez l’idée. Vous aimez les archétypes et les histoires éternelles. Vous trouvez ça fort qu’un type du XVIème siècle ait dessiné la charpente de toutes les histoires qu’on écrit depuis. Vous avez raison.

Mais vous en avez relu, dernièrement ? Ou revu au théâtre ? Au cinéma ? Parce qu’à chaque fois que je me retrouve confronté à Shakespeare, ces derniers temps, je trouve ça d’un ennui rare. Peut-être qu’on a fait le tour et que revenir à la forme la plus basique de ces intrigues éternelles donne le sentiment d’un récit trop épuré. Ou trop simple.

Sauf Macbeth. Vous connaissez, Macbeth ?

lucbesson

Quand on dit Macbeth, en général, ce qui vient à l’esprit, c’est : guerre, roi, sorcières, meurtres, Lady Macbeth, elle est méchante… non. C’est lui ? C’est elle ? Bref. Blablabla, massacre, fin. Je récapitule vite fait et ensuite on avance parce que je sais que vous avez lu le nom de Luc Besson dans le titre de l’article et que vous avez probablement cliqué dessus pour ça, donc ne vous en faites pas, on y vient.

En gros, Macbeth, c’est un bon soldat qui revient victorieux d’une guerre quelconque avec un pote. Trois sorcières leur apparaissent et disent : « Gloire à toi, Macbeth, qui vas prendre du galon jusqu’à devenir roi ». Et elles ajoutent : « Gloire au fils de ton pote qui sera roi aussi ». Et pouf, elles disparaissent. Hein ?

Tout de suite, un mec arrive et annonce à Macbeth qu’il est promu. Drôle de coïncidence ! Pépère rentre chez bobonne, lui raconte la scène sans y accorder beaucoup de crédit. Mais elle ne tombe pas dans l’oreille d’une sourde et Lady Macbeth va murmurer à son mari toutes les saloperies qu’il devrait faire pour que cette prophétie s’accomplisse aussi vite que possible. Il se laisse convaincre, tue le roi, prend sa place et devient parano parce qu’il ne faudrait pas qu’il subisse le même sort. Vous avez probablement deviné comment ça va se finir : il dessoude tout le monde, y compris son pote du début, et le fils venge le père, devenant par la même occasion le nouveau roi.

Détail intéressant pour la suite de notre analogie : les sorcières reviennent dire à Macbeth, devenu roi, qu’il n’a aucun souci à se faire tant que la forêt ne vient pas à lui. Effectivement, à quelques bornes du château, une forêt ne semble pas prête à se mettre en marche tout de suite. Donc ça devrait aller. Sauf que si : quand l’attaque finale arrive, la forêt se déplace bel et bien, d’une façon ou d’une autre selon les mises en scène.

Ce qui me passionne, chez Macbeth, c’est qu’il reste difficile de le juger coupable, alors qu’il a bel et bien du sang sur les mains. Déjà, parce que comme dans tout bon récit misogyne qui se respecte, c’est sa petite peste de femme qui lui souffle tout, avant de se foutre en l’air elle-même parce que le couple finit par aller trop loin en tuant un enfant. Elle sera rongée par la culpabilité, pas lui. C’est ça qui est fascinant : Macbeth devient fou parce que plus il tente d’échapper à sa prophétie, plus il s’y précipite. Il est comme pris dans les sables mouvants. Il ne peut pas se sentir coupable : ce n’est pas lui qui tue, c’est le destin. Ce n’est pas lui qui veut massacrer tout le monde et devenir le nouveau tyran d’Ecosse, c’est le sort qui en décide ainsi. Pas de regrets non plus quand le fils de son pote frappe à la porte, épée à la main, pour lui faire la peau : il était au courant depuis le début.

D’où la phrase clef de Macbeth, qui est toute la morale du récit :

« La vie, une ombre errante ; Un pauvre comédien qui se gonfle et s’agite, un instant, sur l’estrade et qu’on n’écoute déjà plus ; un conte débité par un idiot plein de bruit et de furie ; un contre dénué de sens. » (Acte V, scène V)

Et, parce que c’est bien plus joli en anglais :

« Life’s but a walking shadow, a poor player That struts and frets his hour upon the stage And then is heard no more. It is a tale Told by an idiot, full of sound and fury, Signifying nothing. »

Ça vous dit quelque chose, ces histoires de bruit et de fureur ? Déjà entendu ça quelque part ? C’est Macbeth. Pour simplifier : l’être humain est pathétique à regarder quand il s’agite pour échapper à sa condition parce qu’il lui arrivera simplement ce qui doit lui arriver. Le destin.  

J’espère que je ne vous ai pas perdus parce que c’est maintenant qu’on raccroche les wagons avec Luc Besson. Et ne blessons personne au passage : je ne cherche ni à défendre, ni à descendre le bonhomme.

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Je faisais un peu de route, la semaine dernière, et mon esprit s’est mis à vagabonder du côté de Luc Besson. Je me suis dit : « Que lui est-il arrivé, que va-t-il lui arriver et entendra-t-on encore parler de lui ? », trois questions auxquelles les réponses sont probablement : « Tout, rien et il ne faut pas s’attendre à de bonnes nouvelles ».

Quand on observe de près le monde du cinéma comme je le fais depuis toujours, on est perplexe quand on lit que la société EuropaCorp se porte très mal et arrête ses activités de distribution de films. C’est un peu comme aimer la bagnole et apprendre que Citroën va mettre la clef sous la porte du jour au lendemain.

On est loin de l’image de ce gamin que j’étais il y a vingt-deux ans, cramponné à son siège devant la cérémonie des César et qui a hurlé de joie et couru dans tout l’appartement quand Luc Besson a remporté son premier trophée du meilleur réalisateur. Parce que oui : à l’époque, j’étais fan de cinéma comme d’autres sont supporters de foot.

Il y a deux ans encore, avec mon rédacteur en chef, nous réalisions un rêve d’enfants : passer une heure entière en compagnie de Luc Besson et de sa femme, à discuter de son cinéma, sur le plateau de notre émission consacrée aux blockbusters. C’était le jour de la sortie de son dernier film : Valérian et la Cité des Mille Planètes. Tout le monde était très à l’aise, Luc Besson était gentil comme tout, mais on le sentait un peu comme un lapin pris dans les phares d’une voiture. Quelque part dans sa tête, il entendait un mec frapper à la porte avec une épée à la main. Plusieurs fois, au cours de l’émission, il a tenu à remercier toutes les personnes qui allaient voir ses films et à rappeler son authentique amour pour le cinéma.

C’est important, ça, l’authenticité. On peut dire ce qu’on veut sur Luc Besson : c’est peut-être un grand patron tyrannique, un philosophe de comptoir, un amoureux des trop jeunes femmes… Mais on ne peut pas douter de son authenticité en tant qu’outsider miraculeux du cinéma. Il était presque deux fois plus jeune que moi quand il a réalisé L’Avant-dernier, ce petit court métrage remarqué qui va devenir un long métrage remarqué : Le Dernier Combat.

Je ne sais pas quand ce fils de profs de plongée au Club Med a rencontré ses trois sorcières à lui, mais ça ne devait pas être beaucoup plus tôt. Il n’avait jamais fait d’école de cinéma. Totalement autodidacte, il a traîné sur les tournages de Pialat avant de se mettre au cinéma tout seul. A 23 piges, il a déjà sa société de production : Les Films du Loup. Deux ans plus tard, il rassemble trois millions de Français dans les salles avec Subway. Il est nommé au César du meilleur réalisateur et du meilleur film le mois de ses 26 ans. Deux nominations qui accompagneront tous ses films jusqu’à ce qu’il décroche à deux reprises le César du meilleur réalisateur pour Le Cinquième Élément et Jeanne d’Arc. Il n’a même pas trente ans quand Le Grand Bleu franchit les neuf millions d’entrées.

Vous me suivez ? Il n’est pas roi d’Ecosse, mais pas loin quand même. Avec Léon et Le Cinquième Elément, Luc Besson part tourner des films aux Etats-Unis avec Gary Oldman et Bruce Willis. Il offre une carrière à Jean Réno, Christophe Lambert, Jean-Marc Barr, Anne Parillaud, Natalie Portman, Milla Jovovich… Ses films sont des cartons dans le monde entier. A la fin des années 1990, le roi fonde un empire, EuropaCorp, et se lance dans la production et la distribution. En France, sa franchise à succès s’appelle Taxi. Dans le reste du monde, on le connaît pour les sagas Le Transporteur ou Taken. Hollywood fait dans son froc devant l’enfant des monos de plongée du Club Med !

Et n’allez pas croire que c’est à ce moment-là que Luc Besson a trahi le cinéma en devenant un vendeur cynique de divertissement. En 1997, il aide Gary Oldman à sortir son seul film en tant que metteur en scène : Ne pas avaler, une obscure tragédie sociale britannique. En 2000, il préside le jury du Festival de Cannes. Il attribue sa Palme d’Or à Dancer In The Dark de Lars Von Trier : pas franchement le roi de l’entertainment. En 2011, c’est Terrence Malick qui obtient la Palme avec Tree Of Life. Qui distribue le film, selon vous ? Gagné : EuropaCorp.

En 2017, quand Luc Besson s’apprête à sortir Valérian, ça fait trente-cinq ans qu’il tire la barbichette à toute la planète. Il n’a jamais perdu (ou presque : on n’a pas bien compris ce qu’était Atlantis, mais ce n’est pas grave. Tout le monde l’a zappé depuis 1991). Tous ses coups de poker sont passés. Peut-on vraiment lui reprocher de faire tapis encore une fois ? Il n’a pourtant pas oublié qu’on lui a prédit un jour que la forêt avancerait jusqu’à son empire, mais comment peut-il y croire ? Ça avance, les forêts ?

Ce petit David français constamment dressé devant le Goliath hollywoodien a fait comme les plus gros studios du monde : il a misé des centaines de millions de dollars sur un projet qui s’appelle Valérian et la Cité des Mille Planètes. L’adaptation d’une BD de science-fiction de son enfance. Absolument. Tout. Son. Pognon.

Et c’est là que la forêt se met à marcher. Bien sûr.

Dans la profession, on appelle ça un « accident industriel ». Si on tient à conserver la comparaison avec un accident, disons que c’est un peu comme se coincer les couilles dans un grille-pain. C’est à la fois extrêmement improbable et insupportablement douloureux.

Luc Besson a enfin un genou à terre. Je pense que ça explique ce doute que j’avais perçu dans son regard le jour où je l’ai rencontré pour discuter de son cinéma. Il regardait la forêt de l’échec avancer doucement vers lui. Est-ce une surprise si, au moment où le souverain baisse enfin la garde et se montre blessé, d’étranges silhouettes sortent de l’ombre et emportent Luc Besson vers le néant ? Car ce n’est pas à n’importe quel moment de sa trajectoire que Médiapart publie les témoignages de plusieurs femmes accusant le cinéaste de harcèlement sexuel.

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Je ne vous apprends pas grand-chose en vous confirmant que la marque des grands artistes est de savoir habiller la vie d’une dramaturgie sensationnelle et de créer des archétypes. On peut tout de même s’émerveiller de constater que cinq siècles après la publication de Macbeth, la vie nous offre encore de grands héros shakespeariens.

Au loin, le domaine d’EuropaCorp est en flammes et ses murs s’effondrent pan par pan. Et tandis que mes yeux sont perdus sur l’asphalte de l’autoroute du Nord, de petites voix de sorcières scandent dans ma tête :

Gloire à toi, Luc Besson.

Gloire à toi, Luc Besson.

Gloire à toi, Luc Besson.

MACBETH/WITCHES/CAULDRON

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